• De la séduction comme interaction de pouvoirs

    Comme je l'avais évoqué dans un ou deux billets précédents, la séduction procède, en somme, d'un rapport de domination, d'une interaction de pouvoirs. Mais la nature du rapport de domination n'est pas celui qui vient en premier lieu à l'esprit. Le sujet séducteur n'est pas celui qui détient a priori le plus grand pouvoir, c'est au contraire le sujet à séduire qui devient maître du jeu, dès lors que le sujet séducteur aura initié le processus.

    On le sait, la séduction a changé de nature assez récemment dans l'histoire humaine. La recherche d'un(e) partenaire, autrefois motivée par des nécessités pratiques (sociales, économiques voire politiques) l'est aujourd'hui essentiellement par des raisons émotionnelles. C'est cela qui rend le pouvoir du séducteur nettement affaibli : la séduction perd de son caractère codifié et rend incertaine l'issue du jeu.

    Le schéma ou l'homme séduit et la femme est séduite devient obsolète. En accédant à l'autonomie financière, la femme ne veut ni ne peut plus s'inscrire dans cet ancien schéma dans la mesure où l'autonomie lui rend possible de dissocier sa vie émotionnelle de sa vie matérielle. La légitimité de la femme à initier explicitement la séduction est ainsi de plus en plus reconnue et, à certains égards, bien accueillie par les hommes.

    Contrairement aux apparences, pourtant, ce changement d'équilibre dans la pratique de la séduction ne remet pas fondamentalement en cause la difficulté inhérente à la relation hommes/femmes. Cette difficulté tient en un mot que j'ai introduit quelques lignes plus haut : « émotionnel ». Plus précisément, la femme continue de privilégier de prime abord l'investissement émotionnel dans une relation, tandis que l'homme ne l'envisage (éventuellement !) que bien plus tard, lorsque la relation a atteint, disons, une vitesse de croisière (cet aspect des choses est mis en évidence, par exemple dans la récente étude sur les pratiques sexuelles des Français).

    C'est cette réalité-là qui, dès le départ, rend complexe l'interaction de pouvoirs qui sous-tend le processus de séduction. Par ailleurs cette complexité est amplifiée par l'avènement de la « société de l'image » : au delà de la simple attractivité physique qui a de tout temps été un atout de séduction, mais qui l'est encore plus de nos jours, il y a surtout ce souci de se bâtir une « aura » en fonction de canons uniformisants, en d'autres termes de ne pas s'autoriser à être entièrement soi-même : apparaître sûr de soi, être tendance, et ainsi de suite. Il y a beaucoup de conformisme dans la séduction contemporaine. C'est en ce sens que, dans les faits, le sujet séducteur est appelé a renoncer au pouvoir : non seulement il se soumet au bon vouloir du sujet séduit mais il doit rentrer dans une espèce de « personnage standard » généralement reconnu comme pouvant séduire. Cela laisse peu de place à une véritable authenticité, toute forme d'excentricité est à bannir.

    En sus, le sujet à séduire, de plus en plus, a des exigences très précises sur ce qu'il attend chez le sujet séducteur : Il y a le personnage standard que j'évoque ci-dessus, largement imposé par l'environnement social, mais aussi l'idée, souvent fausse, que l'on trouverait le bonheur avec et seulement avec une personne correspondant à un certain nombre de critères qui peuvent aller du physique et de l'apparence au culturel voire au métaphysique. Ce mythe de la compatibilité amoureuse est largement diffusé par les agences de rencontres ainsi que les sites spécialisés qui à l'inscription demandent aux candidat(e)s de remplir des questionnaires extrêmement détaillés.

    Paradoxalement, c'est pourtant ici que le sujet séducteur peut reconquérir le pouvoir : à partir du moment où la séduction devient aussi standardisée, il devient relativement facile de « modéliser » le comportement séducteur idéal, indépendamment des finalités poursuivies par les parties en présence, et donc de feindre, de faire le caméléon.

    C'est ainsi que le conformisme, la pensée unique sentimentale est, au bout du compte un jeu de dupes, un échange de violences symboliques et de leurres potentiellement dangereux sur le plan émotionnel.

    En définitive, pour qu'une relation ait le plus de chances d'être bénéfique aux deux protagonistes, il est nécessaire de sortir de la séduction univoque (donc "conforme"), pour se placer plutôt dans une interaction transparente, une séduction activement mutuelle qui, sans nécessairement disqualifier les pouvoirs de chacun, permet de les équilibrer en toute conscience. Il ne s'agit pas là d'un effort simple à accomplir, car il induit une exigence d'authenticité, donc une grande capacité de recul sur soi-même : retrouver celui ou celle que nous sommes, profondément enfoui(e) sous notre formatage social.


  • Commentaires

    1
    visiteur
    Jeudi 24 Mai 2007 à 09:09
    pas certain
    de tout comprendre mais c'est fun...
    2
    Jeudi 24 Mai 2007 à 09:23
    Faut poser des questions
    quand on ne comprend pas :-p
    3
    Lilly
    Jeudi 24 Mai 2007 à 09:32
    'Fectivement
    c'est fun !
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    4
    claire
    Jeudi 24 Mai 2007 à 09:36
    suis
    d'accord avec ta conclusion. authenticité, intéractivité, complicité sont les maîtres-mots. la séduction est un comportement sociétal parmi d'autre qui tend effectivement à se formater, mais ça dépend des milieux dans lesquels on évolue et surtout du pré-formatage de son propre cerveau.
    5
    Lliane
    Mardi 5 Juin 2007 à 14:41
    Et bien ...
    je dois dire que je ne regrette pas ton passage sur mon blog ! J’aime beaucoup ce que tu écris... et sur cette note... je crois être d’accord avec toi de a à Z ! Comme quoi ! ;-)
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